Le 12 mars 1985, la chambre commerciale de la cour de cassation a rendu un arrêt de cassation avec renvoi. Il portait sur le principe d’inaliénabilité et de l’imprescriptibilité du nom patronymique. On le nomme l’arrêt Bordas.

LES FAITS DE L’ARRÊT BORDAS

En 1946 est créée la société à responsabilité limitée Éditions Bordas par les frères Pierre et Henri Bordas. Les associés décident, par convention, d’utiliser le nom « Bordas » avec la dénomination sociale complète « Éditions Bordas ». Cette convention est licite et signée par les co-fondateurs, notamment Pierre Bordas.

Des changements surviennent dans la société, Pierre Bordas, devenu associé minoritaire et d’autres actionnaires devenus, eux, majoritaires. C’est pourquoi Pierre Bordas quitte ses fonctions de président-directeur général de la société Éditions Bordas.

Il saisit la justice pour interdire aux Éditions Bordas et à la Société Générale de Diffusion l’usage de son patronyme. Ainsi, la société anonyme est assignée devant un tribunal d’instance en qualité de défendeur.

Analyse de l'arrêt Bordas, nom d'une marque d'édition française.

LA PROCÉDURE

Pierre Bordas (demandeur) est débouté de ses prétentions en première instance. Les juges du fond considèrent la demande infondée dans son ensemble. Mr. Bordas interjette appel. La requête de Pierre Bordas vise toujours à faire cesser l’utilisation de son nom comme dénomination sociale d’Éditions Bordas.

Dans un arrêt rendu le 8 novembre 1984, la Cour d’appel de Paris fait droit à la demande de Pierre Bordas. Elle donne injonction à Éditions Bordas de supprimer toute mention du nom Bordas dans sa dénomination sociale et commerciale. Cela concerne, à titre d’exemple, les ouvrages publiés par la maison d’édition sur lesquels figure le patronyme.

PRINCIPE D’IMPRESCRIBILITÉ ET D’INALIÉNABILITÉ

En effet, cette décision en appel repose sur les principes d’imprescriptibilité et d’inaliénabilité du nom.

Le premier principe veut que l’on ne puisse pas être dépossédé de son nom par l’écoulement du temps. Le second empêche que le nom d’une personne physique puisse être enlevé, cédé, vendu.

En effet, les juges de la Cour d’appel considèrent l’accord conclu entre les frères Bordas comme une simple tolérance en faveur de la société naissante. En outre, cette tolérance ne fait pas échec aux principes d’imprescriptibilité et d’inaliénabilité du nom. Ils demeurent et permettent selon la Cour d’appel que l’autorisation prenne fin du simple fait de Pierre Bordas. Et ce à tout moment, dans la mesure où le retrait de l’autorisation est fondé, et n’est donc pas abusif.

Ainsi, la société Éditions Bordas forme un pourvoi en cassation. En effet, elle entend pouvoir continuer à utiliser le nom litigieux dans la poursuite de ses activités. La demande de la société s’appuie sur plusieurs moyens, dont certains sont reproduits dans la décision de la Cour de cassation avec l’arrêt Bordas.

PROBLÈME DE DROIT

Dans l’arrêt Bordas, il s’agissait pour la Cour de cassation de répondre à la question suivante : « L’utilisation du nom patronymique comme dénomination sociale et commerciale contrevient-elle au principe d’imprescriptibilité et d’inaliénabilité ? »

Cour de Cassation

SOLUTION DE L’ARRÊT BORDAS

Dans son arrêt Bordas, la Cour de cassation a cassé l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris. Ansi, elle autorise « Editions Bordas » à continuer d’utiliser le nom « Bordas » comme dénomination sociale ou commerciale.

La Cour de cassation a d’abord affirmé dans un attendu de principe que « le principe de l’inaliénabilité et de l’imprescriptibilité du nom patronymique, qui empêche son titulaire d’en disposer librement pour identifier au même titre une autre personne physique, ne s’oppose pas à la conclusion d’un accord portant sur l’utilisation de ce nom comme dénomination sociale ou nom commercial »

VALEUR DE L’ARRÊT BORDAS

La cour d’appel avait fait primer le principe d’inaliénabilité et d’imprescriptibilité du nom patronymique. La Haute juridiction quant à elle a rappelé qu’il ne s’opposait pas à ce que des contrats puissent régir son usage commercial.

Il faut effectivement remarquer que l’arrêt Bordas est notamment rendu au visa de l’ancien article 1134 du Code civil, aujourd’hui article 1103 du Code civil qui dispose que « les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ». Cet article est le siège du principe de force obligatoire du contrat et du principe d’intangibilité du contrat.  En application du principe d’intangibilité, il est impossible de modifier ou rompre le contrat à l’initiative d’une seule partie (article 1193 du Code civil).

Or en l’espèce, le nom « Bordas » avait été inséré dans les statuts signés par l’intéressé. Dès lors, M. Bordas avait implicitement consenti à l’inclusion de son nom dans la dénomination sociale de la société. En application de l’ancien article 1134 du Code civil, ne pouvait pas unilatéralement mettre fin à cette autorisation.

C’est pourquoi dans cet arrêt, la Cour de cassation considère que le nom « Bordas » constitue « un signe distinctif qui s’est détaché de la personne physique qui le porte, pour s’appliquer à la personne morale qu’il distingue et devenir ainsi un objet de propriété incorporelle ». Autrement dit : si le nom n’est pas cessible en droit civil, il l’est en droit commercial. Le nom « Bordas » en tant que nom commercial constitue un des éléments incorporels du fonds de commerce.

FINALEMENT

 

Ainsi est affirmée l’interdiction pour le porteur du nom ayant autorisé l’usage commercial de son nom de révoquer unilatéralement son engagement. Cette cession étant définitive et irrévocable, alors même que ledit porteur du nom aurait cessé de diriger l’entreprise.

Et il faut remarquer que l’autorisation d’utilisation du nom ne nécessite pas un consentement exprès. L’accord peut être tacite, en témoigne cette affaire Bordas dans laquelle M. Bordas avait simplement signé les statuts. En définitive, l’arrêt Bordas consacre une véritable présomption de cession du nom à titre de dénomination sociale.

De plus, cette solution nous semble devoir être approuvée en ce qu’elle permet la stabilité du commerce. En effet, dans le cas d’une entreprise qui s’est faite connaître et a développé une clientèle sous un certain nom commercial, un changement d’appellation pourrait porter préjudice à l’exploitation commerciale de cette entreprise.

LA PORTÉE DE L’ARRÊT

La solution de l’arrêt Bordas a été critiquée par une partie de la doctrine puisqu’elle revient à « interpréter la simple autorisation donnée par un dirigeant de société d’insérer son patronyme dans la dénomination sociale, sans autre précision, comme un transfert pur, simple, définitif et gratuit des droits sur son nom à la société par une activité économique déterminée, même lorsqu’il aura cessé d’exercer un certain contrôle sur cette société » (JCP 1985. II. 20400, concl. Montanier et note Bonet).

Pour autant, la reconnaissance par l’arrêt Bordas d’un droit subjectif patrimonial de la société sur sa dénomination a été confirmée par des décisions ultérieures (Cass. com., 16 juin 1987, n° 85-18.879, Maisonneuve ; Cass. com., 6 mai 2003, n° 00-18.192, Ducasse).

L’ARRÊT PETROSSIAN

Finalement, cette solution a été renforcée par l’arrêt Petrossian (Cass. com., 13 juin 1995, n° 93-14.785) qui a affirmé que le droit d’utiliser le nom est aussi exclusif. Le porteur du nom qui a consenti à cette utilisation par une société ne peut plus utiliser le nom dans le secteur économique considéré.

Par ailleurs, l’affaire Bordas pouvait laisser penser que le consentement donné à l’inclusion de son nom dans la dénomination sociale s’étendait au dépôt d’une marque. Mais la jurisprudence ne l’admet pas lorsque le nom de l’associé est notoirement connu : « le consentement donné par un associé fondateur dont le nom est notoirement connu, à l’insertion de son patronyme dans la dénomination d’une société exerçant son activité dans le même domaine, ne saurait, sans accord de sa part et en l’absence de renonciation expresse ou tacite à ses droits patrimoniaux, autoriser la société à déposer ce patronyme à titre de marque pour désigner les mêmes produits ou services » (Cass. Com. 6 mai 2003, n° 00-18.192, Ducasse).

Il s’agit d’éviter que l’associé soit dessaisi du droit de tirer profit de la notoriété qu’il a donnée à son nom. Cette notoriété existant avant son inclusion dans la dénomination sociale de la société. En outre, la jurisprudence a précisé que la notoriété du nom de l’associé devait être nationale, et non pas seulement régionale, pour que celui-ci puisse s’opposer au dépôt par la société de son nom à titre de marque (Cass. Com, 24 juin 2008, Beau).

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